Ce père qui a convaincu l’Iran de lui rendre ses enfants

LE MONDE | 02.07.2012 à 11h37 • Mis à jour le 02.07.2012 à 11h37

Par Pascale Krémer

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Les enfants sont là, à l’abri, dans l’appartement parisien d’un ami. Et lui ne peut plus s’arrêter de parler, de pleurer, tout en s’excusant de tant de mots, de blâmer les uns, rendre grâce aux autres, avant de fondre de nouveau en larmes, sans qu’aucune de nos questions puisse canaliser cette logorrhée libératrice. Dany Laurent reprend douloureusement vie, s’extirpant d’une bataille cauchemardesque de six ans pour retrouver ses deux enfants, Etienne, 9 ans, et Diane, 12 ans, enlevés par leur mère en Iran.

Autour de lui, il n’y avait plus grand monde pour espérer encore une issue heureuse. Mais, mercredi 27 juin, six ans et demi après leur enlèvement, Diane et Etienne sont revenus à Paris. Le quinquagénaire, cheveux déjà gris et visage émacié, en sort exsangue. « Je ne pouvais pas arrêter, j’aurais peut-être fini par en crever. » Avec une nouvelle obsession : raconter son histoire à la presse pour que cessent les poursuites contre la mère. « Dans l’intérêt des enfants. »

Il nous raconte, donc. La rencontre dans le Doubs, durant l’été 1999, entre deux professeurs de français. Il enseigne dans un collège de Besançon, elle, en Iran. Fatemeh a 34 ans, de longs cheveux bouclés, une bourse pour étudier en France, la ferme intention de n’en pas repartir ; lui une bonne part de naïveté. L’amoureuse tombe très rapidement enceinte. Diane naît en 2000. Puis Etienne en 2002. Il achète une maison, s’endette, commence à s’inquiéter de sa réelle affection pour lui, de sa froideur envers les enfants. Suspicions fondées : en octobre 2002, elle part. Commence alors l’une de ces sordides et interminables batailles judiciaires que provoquent parfois les séparations conflictuelles.

Fatemeh, qui refuse de laisser Diane à la garde partielle de son père, accuse ce dernier d’attouchements sexuels et de violence. En 2004, Dany perd tout droit d’hébergement alors qu’il bénéficie d’un non-lieu. Quelques mois plus tard, la justice rétablit son droit de garde, condamne la mère pour dénonciation calomnieuse et non-présentation d’enfants. Mais devant ce lourd conflit parental et la grande instabilité psychologique de la mère, les enfants de 3 et 5 ans sont, en septembre 2005, placés dans un jardin d’enfants de l’Aide sociale à l’enfance. Trois mois plus tard, machine arrière de la justice : un placement progressif des enfants chez leur père est décidé. Mais la mère, étrangement, obtient un droit de visite sans surveillance, le 1er janvier 2006. Dont elle profite pour enlever ses enfants. « Quand j’ai revu la juge qui avait pris cette décision, enrage aujourd’hui le père, elle m’a dit que, de toute façon, cela serait arrivé un jour ou l’autre ! »

AFFAIRES TOUJOURS ÉPINEUSES

L’enlèvement était soigneusement préparé. En février 2005, Fatemeh a fait délivrer des passeports aux enfants par la préfecture de Besançon, malgré une interdiction judiciaire de sortie du territoire. Elle a ensuite obtenu des visas au consulat d’Iran à Berne. Le jour du rapt, elle se fait accompagner en voiture jusqu’à l’aéroport de Genève par un abbé octogénaire influent dans la région, et décédé depuis. La voilà en Iran, avec deux enfants. En déposant plainte au commissariat, Dany Laurent tente de se raisonner : Diane et Etienne sont français (la loi iranienne ne reconnaissant que la nationalité du père), confiés à sa garde unique par la justice française, emmenés dans un pays où les enfants, dès leurs 7 ans, sont systématiquement confiés au père en cas de divorce.

Se raisonner, ne pas paniquer, surtout pas, tout en sachant que c’est l’Iran, qu’il est occidental. Le droit s’appliquera-t-il ? Les relations diplomatiques avec la France sont pour le moins tendues. Aucune convention ne lie les deux pays pour dénouer ces affaires toujours épineuses de déplacements illicites d’enfants à l’étranger – 255 cas recensés par le ministère de la justice en 2011. Qui l’aidera ?

Pas grand monde, à l’en croire. « En tout cas pas le conseil général du Doubs, qui avait la responsabilité de mes enfants, placés au moment de l’enlèvement. Son président m’a reçu au bout de quatre mois et demi, après un article dans la presse locale et des centaines de lettres de mon comité de soutien. Pas pour m’aider, mais pour me menacer de porter plainte si je continuais de critiquer son inaction ! » La justice, alors ? Cinq mois après le rapt, un arrêt de cour d’appel lui accorde la garde et l’autorité exclusives sur ses enfants. Un mandat d’arrêt Interpol est transmis en Iran. Puis, plus rien, si ce n’est l’actualisation récente des photos des petits. « Quand, en 2008, j’ai demandé que l’on se procure la liste des appels téléphoniques du frère de Fatemeh résidant aux Etats-Unis, et nécessairement en contact avec elle, cela m’a été refusé. »

INCESSANTES DÉMARCHES

Et les affaires étrangères ? « La cellule spécialisée, ce sont deux personnes qui entassent les dossiers et les laissent prendre la poussière. » Au niveau gouvernemental, les interventions sont impossibles, l’enlèvement a lieu en pleine crise sur le dossier nucléaire. « Les diplomates disaient : « Si l’on intervient, cela jouera contre vous« . Le président Chirac n’a pas répondu à ma lettre, le président Sarkozy m’a assuré de sa sollicitude… »

Ne pas médiatiser, lui conseille-t-on, ne surtout pas donner un tour politique à l’affaire. Le consulat de France à Téhéran ne peut agir officiellement. Pourtant, là, Dany trouve du soutien. On l’héberge pour qu’il ne brasse pas d’idées noires, seul dans sa chambre d’hôtel. On l’aide dans ses incessantes démarches.

Mais rien ne bouge. Les années passent. Monte l’angoisse. Les enfants le reconnaîtront-ils ? Dans quelles conditions vivent-ils ? Parleront-ils encore français ? Dany se met au persan. Lui, l’écolo plus coutumier du vélo que de l’avion, enchaîne les allers-retours. Apprend à connaître l’Iran, cet « autre univers mental », ses différentes juridictions, son sens de l’honneur exacerbé, son sens de l’accueil, aussi, tout en aiguillonnant un avocat franco-iranien trouvé grâce au consulat, dont il a le sentiment qu’il n’agit guère. Ses économies fondent (80 000 euros dépensés), son moral aussi. Bientôt il n’a plus l’énergie d’enseigner. Il n’est pas loin de sombrer quand, à la mi-juin, son téléphone sonne. Coup de fil d’Iran. Les enfants ont été retrouvés.

Ce miracle, Dany croit le devoir à la justice iranienne, qu’il remercie aujourd’hui, un brin provocateur. « J’ai eu affaire à des juges plus humains et consciencieux que certains juges français… » Comme ce haut magistrat du tribunal de Karaj – la ville des parents de Fatemeh, en banlieue de Téhéran. En mai 2011, devant l’enlisement de la procédure engagée (pour introduction illégale de personnes sur le territoire), il s’apprête à clore le dossier. A l’audience, Dany plaide pour que l’instruction reste ouverte. « Vous n’êtes pas musulman, mais moi, quand j’étais prisonnier en Irak, j’ai eu la vie sauve grâce à un médecin irakien chrétien, lui confie alors le juge. Vous êtes un être humain, un père qui cherche ses enfants, je vais faire mon travail. »

La condamnation de Fatemeh tombe en février 2012. Le dossier est transmis à un juge d’exécution des peines efficace, qui place six numéros de téléphone sur écoute. Quatre mois plus tard, mère et enfants sont localisés à Karaj, Dany est prévenu. Mais le nouvel avocat francophone qu’il s’est lui-même trouvé sur place craint que l’intervention policière ne soit ensuite contestée. Impossible selon la loi musulmane de confier des enfants musulmans à un non-musulman… Qu’à cela ne tienne, Dany se convertit officiellement dans la journée. L’opération de police peut être lancée, Fatemeh arrêtée.

RETISSER LES FILS AFFECTIFS

Elle encourt trois ans de prison, mais le juge suggère au Français d’abandonner les poursuites. Ce qu’il fait. « Il s’était mouillé pour moi, pour un étranger non musulman… » Dans l’attente des visas, Dany convie même Fatemeh à venir, chaque jour, voir ses enfants à l’ambassade. « Elle a fait ce qu’elle pouvait pour que leur départ se passe bien. Elle les aime vraiment maintenant », reconnaît-il, la voix cassée par l’émotion. Durant ces six années, il sait que les enfants ont été cachés, privés d’école, qu’ils ont vécu en cercle très fermé, perdu leurs joues rondes et leur gaîté, mais aussi qu’ils ont reçu des cours particuliers de mathématiques et d’orgue, pratiqué un peu la danse et l’équitation, regardé les chaînes françaises à la télévision. Ils parlent français, ont une photo de leur père dans leur album. « Elle n’a pas tout effacé. En dehors de les priver d’un père, ce qui n’est pas rien, elle a fait ce qu’elle pouvait… »

Désormais, Dany Laurent doit retisser les fils affectifs qu’une si longue séparation a rompus. La moitié de la vie de Diane sans lui, les deux tiers de celle d’Etienne. A son arrivée, les enfants l’ont reconnu immédiatement mais n’avaient pas l’air ravis de le voir. Et ce mercredi après-midi à Paris, alors qu’Etienne rechigne à se faire photographier avec son père, Diane confie d’une voix douce et éteinte qu’elle se souvenait de lui mais aurait « préféré rester avec maman ». A l’entendre, son père se tourne vers nous, le visage ravagé par les larmes. « Quand elle était petite, c’est avec moi qu’elle voulait rester… Je savais que ne serait pas facile. Je vois la difficulté pour eux de la séparation d’avec leur mère. Avant ils étaient joyeux comme tout, je les retrouve qui souffrent par mon fait. » Insupportable. Il reverra donc Fatemeh avec eux en Turquie, dès la fin juillet. Et surtout demande à la justice française l’annulation des poursuites, sans laquelle elle ne pourra obtenir de visa pour venir voir ses enfants. Si Dany a encore une certitude, c’est que la justice française doit bien cela à Diane et Etienne.