R. a neuf ans. Il est silencieux. Il n’a pas droit à la parole.
Il y a deux ans et quatre mois, sa mère japonaise l’a enlevé pendant que son père français était allé en France soigner sa mère âgée. L’histoire se passe au Japon, un pays très moderne et très avancé, où les voleurs d’enfants sont protégés par la loi et les tribunaux.
Depuis son enlèvement, R. vit chez ses grands-parents avec sa mère. Elle l’a fait changer d’école, quitter tous ses copains, sa maison ensoleillée entourée de forêt sur les hauteurs de la ville, et surtout son papa qui l’aime tant et qu’il aimait tant. Son nouveau quartier est le plus triste de Kyoto, au sud de la gare, où les entrepôts et le trafic des camions et leurs gaz ont remplacé l’air pur et les chants d’oiseaux sur le chemin de l’école. Sa chambre est devenue bien petite, et les vitres dépolies des fenêtres limitent son univers, les jours et les heures sans école, à l’intérieur d’une maison dont la seule ouverture de lumière est un minuscule jardin intérieur, métaphore d’une famille tronquée et repliée sur elle-même.
Le papa de R., voulant éviter tout nouveau traumatisme pour son fils, a choisi, trop confiant en la justice locale, de ne pas aller reprendre de force son enfant et de respecter la voie légale. Il a déposé au tribunal une demande de retour de l’enfant au domicile familial, domicile qui est toujours le sien. Ses avocats lui ont conseillé de ne rien faire sinon d’attendre la décision du juge. Depuis 28 mois, sa demande est toujours en cours d’examen…Et l’enfant grandit sans père.
Malgré ses demandes continuelles de visites, le père et le fils n’ont pu se voir, montre en main, que 54 heures depuis la séparation, survenue en août 2006. Durant les 18 derniers mois, pour les rares fois où la mère n’a pas refusé les visites, celles-ci n’ont pas duré deux heures et se sont passées en présence de la mère et des avocats des deux parties — conditions très propices à un maintien du naturel dans les relations père – enfant ! On ne peut pourtant imputer au père aucun acte de violence à l’encontre de l’enfant ni de la mère pour justifier de ces conditions imposées par celle-ci. Et si la plupart du temps, la mère a pu refuser les visites, c’est pour la simple raison que le « droit de visite » n’est pas stipulé dans la loi japonaise. En fait, ce droit existe depuis avril 2001 en Chine, pays qui a la réputation de ne pas respecter les Droits Humains, mais pas au Japon, qui comme chacun sait, est une démocratie.
En France, le fait de refuser volontairement de présenter l’enfant mineur à l’autre parent (exemple : ne pas ramener l’enfant après un week-end à celui qui en a la garde, refuser un droit de visite) est un délit passible d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
« Plaisante justice qu’une rivière borne ! Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au delà » a bien écrit Blaise Pascal.
Le Japon a pourtant signé le 22 avril…1994 (ce n’est pas d’hier !) la Convention relative aux droits de l’enfant (CRC), dite « Convention de New York », qui établit, dans son Article 9-3., que « Les Etats parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. (Nous soulignons).
Mais jusqu’à ce jour (et depuis 14 ans), cet article de la convention n’a pas eu d’effet. Au Japon, l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant est laissé à la discrétion du parent kidnappeur, c’est-à-dire que, dans les faits, les droits de l’enfant sont entièrement soumis à son arbitraire.
Rappelons que le Japon est le seul pays du G8, avec la Russie, à ne pas avoir encore signé Convention de La Haye sur les aspects civils des déplacements illicites d’enfant. Ainsi, l’enlèvement parental peut continuer à y être licite et le parent kidnappeur y peut couler des jours tranquilles, bénéficiant de surcroît de la protection du tribunal. Car au bout de six mois de résidence de l’enfant à son nouveau domicile — celui du parent kidnappeur — ce domicile est considéré comme le vrai et le seul domicile de l’enfant. Et si son autre parent vient l’y reprendre, c’est lui qui sera alors inquiété par la justice et la police. Cela a l’air d’une histoire de fous. Ce n’est hélas qu’une histoire vraie et…japonaise.
Revenons à notre petit garçon. La dernière visite avec son papa remonte au 3 mai 2008. C’était pendant le Goldenweek, la « semaine d’or ». Il était impossible, à cause de l’affluence, de réserver plus d’une heure la « party room » d’un restaurant familial imposé par la mère pour les visites. Ce restaurant ne comporte, en effet, qu’une sortie, et il est défendu au père et à l’enfant d’aller dehors. Le père et le fils ne s’étaient plus vus depuis 3 mois. Comme presque toujours, R. et sa mère sont arrivés au rendez-vous avec plus d’un quart d’heure de retard (qui n’est généralement pas rattrapé, mais plutôt assorti d’un départ anticipé). Au bout de 40 minutes, il leur a fallu, comme prévu, quitter la salle. Le père raconte :
« J’ai alors proposé à mon fils (nous jouions tant bien que mal à la balle dans la petite salle de restaurant de 3 mètres sur 4) d’aller continuer à jouer, en présence de sa mère et des avocats dans le petit parc voisin, que nous avions repéré avec mon avocat avant la visite. Mon fils m’a alors dit « Ce n’est pas possible ». Je lui ai demandé pourquoi. Il m’a alors répondu : «
— Parce que j’ai honte qu’on nous voie ensemble. J’ai honte de toi.
— Mais pourquoi ?
— Parce que tu es étranger.
— (!!!) Parce que je suis Français ? Mais toi aussi, tu es Français. Français et Japonais.
— Je sais, mais personne ne sait que j’ai un père français.
— (!!!)
— Si mes copains le savaient, je serais sans doute maltraité. Je ne veux pas qu’on nous voie ensemble. »
Estomaqué, je lui ai demandé de confirmer cela devant mon avocat, puis devant l’avocate de ma femme. Prenant sans doute conscience du sordide d’avoir honte de son père pour cela, il a fondu en larmes. L’avocate de ma femme a aussitôt exploité la situation, en me chargeant de la responsabilité de l’incident. Il n’a plus été moyen de continuer la visite, qui s’est interrompue au bout de la première heure, sans que mon épouse accepte de fixer un nouveau rendez-vous. Depuis, les visites sont refusées sous prétexte qu’elles perturbent l’enfant. Mon avocat a envoyé une protestation à la partie adverse pour discrimination raciale et contrainte de l’enfant — celui-ci étant forcé par sa mère et sa famille japonaise de dissimuler ses origines étrangères. Cette plainte n’a eu aucune conséquence et a été ignorée par le juge »
L’été a passé. Les rendez-vous téléphoniques des mercredi et samedi soirs, décidés entre le père et le fils quelques semaines après la séparation et maintenus jusque-là tant bien que mal avec irrégularité (et sous écoute et surveillance de la mère) — généralement, le téléphone de la famille de la mère ne répond pas, ou bien le grand-père répond sèchement que l’enfant est absent (!) et raccroche violemment — deviennent alors impossibles. On ne répond plus.
Au début du mois de septembre, le Consul de France à Osaka et le Consul adjoint ont rencontré l’avocate de la mère de R., dans le but de l’inciter à convaincre sa cliente de permettre un maintien des relations entre R. et son père. L’avocate a assuré les diplomates français que sa cliente ne s’opposait en aucune façon aux visites (!) et que le maintien de l’identité française de R. lui tenait à cœur (!!! : l’enfant, qui parlait français couramment avant la séparation, a été privé par sa mère de tout contact avec la communauté française et avec l’enseignement du français, et a ainsi complètement oublié la langue de son père. Aujourd’hui, il ne comprend plus un mot de français). Ces belles paroles de l’avocate de la mère ont été accueillies avec satisfaction par les deux diplomates… Mais depuis cette entrevue, comme le père de R. s’y attendait, rien n’a changé.
Noël arrive. Le papa de R. qui a perdu son principal emploi en avril et survit tant bien que mal — son ex-femme, qui refuse de travailler, a obtenu du juge, au titre de pension alimentaire, la saisie de la moitié de son maigre salaire actuel — utilise ses derniers deniers du mois pour acheter des cadeaux pour son petit garçon. Il compte bien les lui remettre en mains propres, car plusieurs de ses envois précédents n’ont jamais reçu la moindre confirmation de réception de la part de R. Il demande une visite, même très courte, avant le 24 décembre : refus de la mère. Motif : avant le 24, ce n’est pas possible, le soir de Noël, nous sommes invités à une partie, et le 25, nous serons absents. Les jours suivant Noël, nous ne serons pas libres. De plus, « l’enfant ne désire pas vois son père ». On connaît la chanson !
Pourtant, au début du mois d’octobre, le téléphone a sonné chez le papa. Une petite voix, faible et inquiète, lui dit, en japonais, « Bon anniversaire Papa ! ». R. a téléphoné en cachette, sa voix est sourde : il craint d’être surpris. La conversation ne dure pas. Mais le papa sait que son petit garçon ne l’oublie pas et le garde dans son cœur. Pourtant, quelle misère pour cet enfant de devoir se cacher pour accomplir une chose si naturelle : souhaiter son anniversaire à son papa !
Étrange, donc, au regard de cet appel téléphonique, que l’enfant « n’ait pas envie de voir son père ». C’est bien sûr la version de la mère. Car l’enfant n’a pas l’honneur d’être écouté. Au Japon, le juge ne rencontre pas l’enfant lors d’une procédure de divorce. Il laisse ce soin à l’enquêteur du tribunal des affaires familiales. Celui-ci a rencontré R. une seule fois, quelques semaines après la séparation. Il a fait son rapport au juge, mais le papa de R. n’a jamais pu en connaître le contenu : « secret défense », sans doute…
Depuis, le papa a demandé que l’enquêteur revoie l’enfant, car la situation s’est dégradée, les relations père fils sont devenues inexistantes. Sans ordre du juge, l’enquêteur ne bouge pas. Et le juge a refusé d’ordonner une nouvelle enquête. Depuis deux ans donc, on ne sait pas ce que pense et ressent l’enfant de cette privation de présence paternelle. Mais, sans doute cela dérangerait-il le cours du procès de le savoir. Il faudrait en tenir compte et cela risquerait d’enrayer la machine bien huilée de protection du statu quo : « l’enfant est dans la famille de sa mère japonaise, et cela suffit à son bonheur ». En se bouchant les yeux, et en protégeant leurs nationaux kidnappeurs, les tribunaux japonais cherchent avant tout à protéger leur tranquillité.
Finalement, tout cela n’est pas très étonnant dans un pays où les yakusa (la mafia) ont pignon sur rue.
Achille
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Source : http://france-japon.net/2008/12/25/au-japon-3e-noel-sans-papa-pour-un-enfant-vole#more-1586