(Ce texte a été joint en annexe à la lettre adressée le 23 avril 2012 par SOS PARENTS JAPAN aux deux candidats restés en lice au deuxième tour de scrutin des élections présidentielles françaises)
Depuis près de trois années, notre association SOS Parents Japan, en coordination avec l’association sœur SOS Papa, et plusieurs associations de parents japonais (Oyakonet, AEP, etc.) et anglophones (CRCJ, FRIJ, etc.) se bat au Japon pour la reconnaissance du droit des enfants — et, en particulier, des enfants franco-japonais — à continuer à entretenir des relations suivies avec leurs deux parents, après la séparation du couple parental (inscription dans la loi d’un droit de visite, partage de l’autorité parentale, notamment). Nous nous heurtons à un immobilisme et à une langue de bois récurrente de la part du gouvernement japonais sur le sujet. Les avancées sont de façade, et les promesses faites — dont celle de l’ancien Premier Ministre japonais Yukio Hatoyama, faite en mars 2010 en personne à notre ministre des Affaires Etrangères de l’époque, M. Bernard Kouchner, de charger un membre de son cabinet de traiter les cas en cours au Japon de non-présentation d’enfants à leur père français — n’ont pas été tenues.
Le « Comité de consultation franco-japonais sur l’enfant au centre d’un conflit parental », crée le 1er décembre 2009, et qui s’est réuni cinq fois à raison d’une séance tous les six mois, n’a pu enregistrer aucune avancée concrète. Les Japonais s’en tiennent au discours habituel : « Nous allons examiner le problème… ». Et nos enfants, totalement coupés de nous, grandissent sans père, sans leur famille française, et sans leur deuxième langue et leur deuxième culture. Ils sont totalement pris en otages par leur famille japonaise. Et les démarches de nos diplomates, même au plus haut niveau, se heurtent à une fin de non-recevoir. Nous ne pouvons comptabiliser aucune avancée dans les dossiers en cours, et nous devons déplorer qu’aucun contact n’ait pu être rétabli avec nos enfants kidnappés, dont nous sommes toujours sans nouvelles.
Aujourd’hui, une quarantaine de pères français sont sans nouvelles de leurs enfants franco-japonais — ainsi que des centaines de pères d’autres nationalités dans le même cas. Le ministère de la Justice du Japon recense 166.000 enfants privés de leur second parent par an dans l’archipel (enfants de couples séparés japonais-japonais et japonais–étranger confondus).
Pouvons-nous continuer à nous en remettre au bon vouloir d’un état japonais qui protège les parents kidnappeurs, ne reconnaît pas le partage de l’autorité parentale, et refuse à l’autre parent un droit de visite que même la Chine — pays tant critiqué pour ses violations des Droits Humains — a adopté en 2002 dans sa loi familiale ?
Il est grand temps qu’une volonté politique ferme, au plus haut niveau de l’Etat, oriente les démarches de l’administration française pour exprimer sa volonté de voir nos enfants retrouver leur père français et leur identité française dont ils ont été spoliés.
Je me permets d’attirer votre attention sur le fait que le Sénat français, sur la proposition des sénateurs Richard Yung (PS) et Louis Duvernois (UMP), a adopté le 25 janvier 2011 une résolution « relative aux enfants franco-japonais privés de liens avec leur parent français en cas de divorce ou de séparation », invitant le Japon à signer la Convention de La Haye 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants, et à adapter son Code Civil en adoptant un droit de visite et un partage de l’autorité parentale, jusqu’ici inexistants dans la loi japonaise.
Cette résolution a fait suite à celle adoptée par le Congrès américain le 29 septembre 2010 (Résolution nº 1326) condamnant le Japon pour la protection et l’impunité qu’il assure à ses ressortissants coupables d’enlèvements (parentaux) internationaux d’enfants.
Récemment, sous la pression internationale, le Japon a fait part de sa volonté de signer la Convention de La Haye 1980, et a organisé au Japon une consultation publique en ligne sur ce sujet. Les nombreuses restrictions au texte de la Convention proposées par le Gouvernement japonais en préalable à toute adhésion ont été dénoncées par nos associations. Elles nous semblent s’éloigner à la fois de l’esprit et de la lettre de ladite Convention. Il nous semble, en effet, que ces projets tendent, de façon indécente, à dissuader le parent Demandeur (celui auquel on a ravi l’enfant) d’engager une procédure de restitution d’enfant, et à protéger ledit Défendeur (celui qui a enlevé l’enfant), en lui permettant de légaliser son enlèvement.
Ces projets tentent — et cela est invisible pour celui qui ne connaît ni la loi ni la pratique judiciaire japonaises — d’imposer des restrictions qui transposeraient dans la Convention l’usage interne japonais. Ce n’est pas faire un pas vers l’Autre, c’est amener l’Autre à faire comme soi. Aux États signataires de ladite Convention de ne pas « tomber dans le panneau » d’une telle duperie, sauf à vouloir faire preuve de complaisance envers le Japon, ce partenaire économique que l’on semble vouloir privilégier à tout prix, y compris au mépris des droits des enfants et des parents !
Gardons à l’esprit que, sans modification sérieuse de leur Code Civil, les Japonais ne seront pas en mesure de signer la Convention de La Haye de 1980 sur les enlèvements internationaux d’enfants, et que, vu l’augmentation des mariages internationaux avec des citoyens japonais, ces enlèvements impunis vers le Japon ne feront que croître dans l’avenir si ces changements n’interviennent pas. Nous devons encourager les Japonais à changer leur loi et à rejoindre les grandes nations avancées dans le respect des Droits de l’enfant, dont ils ont pourtant ratifié en 1994 la Convention (de New York), mais ne la respectent toujours pas.
Gardons aussi à l’esprit que, compte tenu de l’immobilisme récurrent de la culture et des institutions japonaises — dont j’ai eu le loisir de pouvoir me rendre compte, en vingt années de séjour au Japon — les grands changements dans l’histoire du Japon ne se sont faits que sous la pression extérieure. Celles du Sénat français, associée à celle du Congrès américain, ne sont pas des moindres. Mais nous attendons maintenant une attitude claire et ferme de la part du prochain président de la République française envers le Japon sur ce sujet, et un réel suivi, à la fois du projet d’adhésion du Japon à la Convention de La Haye et des cas en cours des enfants franco-japonais privés de leur père français.