Une cinquantaine de petites «Élise» au Japon

LE FIGARO

Régis Arnaud, à Tokyo
23/04/2009 | Mise à jour : 10:33
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Au Japon, lors d'un divorce, la garde de l'enfant n'est reconnue qu'à un seul parent, ce qui entraîne souvent la rupture des liens avec l'autre parent. Crédits photo : Jim Epler
Au Japon, lors d’un divorce, la garde de l’enfant n’est reconnue qu’à un seul parent, ce qui entraîne souvent la rupture des liens avec l’autre parent. Crédits photo : Jim Epler

On compte environ cinquante enfants au Japon qui, comme la fille du couple franco-russe récemment enlevée par sa mère, sont privés d’un de leur parent. L’appel aux meilleurs avocats n’y change rien.

Depuis quatre ans, Jacques Colleau n’a aperçu sa fille Marie-Anne qu’à la jumelle. Son ex-femme japonaise lui interdit de la voir. Les cartes de vœux et les lettres qu’il envoie à son enfant lui sont retournées. Chaque fois que ce Français tente d’approcher son enfant, la police l’emmène au poste.

Pourtant, au terme d’une longue procédure, un tribunal de Tokyo lui a accordé un droit de visite. Mais la loi japonaise est ainsi faite que, dans les affaires familiales, l’absence d’exécution des jugements n’est pas sanctionnée. «J’ai fait appel aux meilleurs avocats de Tokyo et dépensé 40 000 euros en frais de justice pour gagner ce droit de visite. Mais mon ex-épouse ne respecte pas l’engagement qu’elle a pourtant signé devant un juge. Quand je vais à son domicile et sonne à sa porte, elle m’accuse de vouloir entrer par effraction pour la cambrioler», raconte Jacques Colleau.

Une cinquantaine de cas semblables impliquant des ressortissants français complique les relations entre la France et le Japon. Ces pères désemparés ne disposent d’aucun recours. «Le Japon n’a pas ratifié la convention de La Haye de 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants. Aucune convention bilatérale sur le sujet ne lie les deux pays, et nos décisions judiciaires ne sont pas reconnues au Japon. Nous partons presque de zéro», explique Mahrez Abassi. Ce magistrat est venu au Japon pour rechercher une solution. Les États-Unis et le Canada, entre autres, sont dans la même impasse. Le célèbre pédopsychiatre, Aldo Naouri l’accompagne.

Vide juridique

Dans une série de conférences, ce médecin a insisté devant les responsables japonais, sur le rôle crucial de deux parents pour assurer le développement équilibré d’un enfant. Tenu dans l’enceinte du Sénat, ce discours n’a pas retenu l’attention. Un seul parlementaire est resté pour écouter l’intervention jusqu’au bout.

De tels conflits révèlent des approches radicalement différentes de la famille. «En France, l’autorité parentale est, par principe, accordée aux deux parents. Au Japon, la garde de l’enfant n’est reconnue qu’à un seul parent lors d’un divorce», explique Mahrez Abassi. Dans les faits, cela signifie que les ponts sont à jamais coupés entre l’enfant et son père, ou sa mère. «J’interprète la situation japonaise comme le résultat d’une tradition dans laquelle le mariage est davantage l’union de deux familles que celle de deux êtres mutuellement attirés l’un vers l’autre», analyse Aldo Naouri.

Ce vide juridique transforme la vie des pères français divorcés en enfer. Tel pianiste français résidant à Kyoto n’a le droit de voir son fils que dans le salon privé d’un restaurant, portes fermées, pour de brefs moments chaque mois. Quand il lui propose de sortir pour se promener avec lui, son fils refuse. Il a honte d’être vu avec un étranger en public. Jacques Colleau, lui, est épuisé nerveusement. Mais il ne renonce pas. «J’irai jusqu’au bout. Si ça finit mal, tant pis».

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COMMENTAIRES SOS-PARENTS-JAPAN :

Quelques précisions semblent nécessaires. L’article comporte quelques ambiguïtés de chiffres, notamment sur le nombre d’enfants (voir note 1) concernés par une coupure des relations avec leur autre parent au Japon (en réalité, non pas une cinquantaine, mais 166.000 par an au Japon selon les statistiques officielles) et sur la fréquence des visites concernant le « pianiste français résidant à Kyoto » (voir note 2)

La cinquantaine de petites « Elise » évoquée dans l’article ne semble concerner qu’une partie des cas d’enfants binationaux.

1) Statistiques : les chiffres suivants (la dernière mise à jour date de juillet 2008) concernent seulement le nombre de cas  connus des consulats étrangers qui ont mis en commun leurs données, de parents étrangers coupés de leurs enfants au Japon. Ceci pourrait n’être que la « partie émergée de l’iceberg » car, d’une part, toutes les communautés étrangères n’y sont pas représentées à ce jour et, d’autre part, il est impossible d’évaluer le nombre de cas de parents qui n’auraient pas signalé leur situation à leurs consulats respectifs. Ce sont donc des chiffres approximatifs et incomplets, qui donnent déjà, cependant, une idée de l’ampleur du problème.

Par continent et par pays :

Amérique du Nord :      94

•    Canada :         29
•    Mexique :         25
•    USA :             40
(ne sont comptés que les cas d’enlèvement international, et non les cas de déplacement d’enfant à l’intérieur du territoire japonais).

Europe :         65

•    Allemagne :         15
•    France :         20
•    Grande Bretagne :     30

Total :                   159 cas

Asie :                ?

Les cas concernant les Phillipines sont, paraît-il, nombreux, mais nous n’en possédons pas encore les chiffres. Rien, non plus, pour l’instant, pour les autres pays asiatiques. Sur une population de 2 millions d’étrangers au Japon, les cas chinois (sur plus de 600.000 résidants) et Coréens (sur 593.000 résidants) seraient à considérer attentivement.

2) Visites concernant le « pianiste français résidant à Kyoto » : l’intéressé témoigne : « Non pas « chaque mois », mais l’an dernier seulement trois fois (4 heures 30 en tout pour l’année 2008), et cette année, une fois deux heures. Je n’ai vu mon fils, en tout et pour tout, que 58 heures depuis son enlèvement il y a bientôt 3 ans. L’enlèvement a eu lieu en août 2006. Il avait juste 7 ans. Depuis, il a oublié le français, qu’il parlait et comprenait bien, et n’a plus aucun contact avec sa famille française ni avec la communauté, ni avec la culture française tout court. Les visites, pourtant ordonnées le 23 mars 2009 par la Cour d’appel d’Osaka (4 heures par mois !) sont refusées par la mère de mon fils, sans justification autre que « L’enfant ne veut pas voir son père » — un argument « classique dans ce genre d’affaire. Je sais pourtant qu’il n’en est rien, et qu’il souffre. Les parents peuvent bien divorcer, pour l’enfant, un papa reste un papa ! Un parent reste un parent ! », nous confie ce père déchiré.

A suivre…

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