Les enfants pour eux mêmes

LE MONDE

Chronique d’abonnés

par thierry c., ouvrier

Je suis parfois tenté de penser que je suis un horrible bavard, et qu’il faudrait me supprimer tout moyen de m’exprimer. Mais, pour cela, il faudrait que nous vivions dans un monde idéal, et nous en sommes loin. Quand je vois le drame de cet enfant que l’on balade tranquillement sous les yeux des caméras entre la France et la Russie, je me demande comment nous pouvons être aussi irrationnels, aussi monstrueux, surtout vis à vis de nos propres enfants ?

Quand la guerre se déclenche entre les adultes, les enfants, loin de rester des êtres chers, deviennent des enjeux, des pièces d’échecs dont on se sert et qu’on déplace à sa guise. Ici, on les tue, tout simplement, là on les enlève et on les séquestre comme une propriété. Si parfois on admet que ces petites choses peuvent s’exprimer sur leur situation, et éventuellement choisir, où ils veulent vivre, on oublie que ce choix, s’il est exprimé objectivement aura des conséquences inenvisageables pour un enfant. Choisir papa, ou préférer maman, c’est évidemment, dans une atmosphère conflictuelle, se priver définitivement de l’un ou de l’autre.

Vivre, quand on est un « fruit de la passion » , devient alors tout simplement inenvisageable. Imagine t-on qu’un fils s’entende dire par sa propre mère qu’elle le reniera s’il voit son père ? Peut on réaliser la blessure que provoquera le père qui dit à sa fille qu’elle doit oublier sa mère, parce qu’elle l’a abandonné, lui ?

L’amour, je devrais dire l’Amour inconditionnel de l’enfant, le besoin d’amour aussi, devient impossible à satisfaire. Là où l’enfant devrait apprendre à donner et à recevoir, il apprend le calcul, il devient un politique, parfois même un cynique. Ce que papa ne veut pas, maman me l’accordera, ou le contraire, ne serait-ce que parce que sinon je n’irai plus chez elle.

Bref, dans de trop nombreux cas, l’enfant n’est plus ce qu’il devrait être : une personne en devenir. Sommé de prendre parti, balloté d’un côté à l’autre sans choix réel, bien peu de ces gamins vivent sereinement, qu’ils soient fils de chômeurs ou bourgeois. Adultes, sans l’avoir souhaité, hommes avant l’âge, ils ont parfois la lourde tâche d’essuyer les plâtres d’un conflit dont ils sont pourtant les principales victimes.

On devrait les plaindre, la société devrait les aider, les protéger, ne serait-ce que pour éviter qu’une fois devenus adultes ils ne reproduisent le schéma familial dans lequel ils ont vécu.

Seulement voilà, nous considérons aujourd’hui le divorce et les remariages comme des situations banales. Les familles recomposées deviennent à la mode et on croit trop couramment que ces modèles familiaux sont des écoles de la tolérance et de l’ouverture.

C’est faux.

Bizarrement, dans une société essentiellement axée sur la problématique de la possession, nous avons occulté l’impérieuse nécessite pour chacun d’appartenir. Nous croyons que pour être heureux il suffit d’être riche, et indépendant. Malheureusement, et c’est le cas pour chacun d’entre nous, si nous n’avons pas de racine, ou que la vie nous prive d’une partie d’entre elles, notre bonheur matériel, ne suffira pas à nous combler, parce que nous n’aurons acquis qu’une partie de notre identité.

Issus d’une union, nous sommes tous doubles, dual. Grandir sans l’une de ses deux parties, apprendre à la juger sans parfois l’avoir vue, c’est comme admettre qu’on est orphelin ou pire qu’il faut oublier une partie de soi même. C’est inconcevable pour un enfant, et invivable pour celui-ci quand il devient adulte.

Les drames des parents devraient rester celui des parents. Ne plus s’aimer, se déchirer, ne devrait se faire qu’en dehors des enfants. Ceux là ont une vie à construire, ils ne sont pas responsables de l’échec de leurs parents. Il serait urgent que l’opinion en prenne conscience et que le politique réfléchisse aux moyens à mettre en oeuvre pour protéger ces enfants, les protéger réellement. Les séparations et les enlèvements d’enfants sont des drames. Or il faut le dire : les enfants n’appartiennent pas à leurs parents, ceux-ci n’en sont que les dépositaires, et je dirais, des dépositaires responsables. S’ils n’assument pas leur charge, alors, il faut que la famille étendue ou l’Etat, intervienne pour protéger ceux qui doivent l’être.

L’enfant n’appartient pas à ses parents !

Cela doit être dit.