L’âpre bataille entre les parents d’Elise : un choc culturel, une affaire d’Etats

LE MONDE | 18.04.09 | 14h14  •  Mis à jour le 19.04.09 | 10h11

http://www.lemonde.fr/societe/article/2009/04/18/l-apre-bataille-entre-les-parents-d-elise-un-choc-culturel-une-affaire-d-etats_1182440_3224.html

« Maman, elle a fait une bêtise », dit Elise André-Belenkaya du haut de ses trois ans et demi, avant de plaquer sa menotte sur la bouche de son papa. Comme pour clore le débat sur l’âpre bataille qui oppose son père français à sa mère russe depuis l’automne 2007 pour l’obtention de sa garde… Dimanche 12 avril, Irina Belenkaya – qui tentait de franchir avec la fillette la frontière Est ukrainienne depuis la Hongrie après l’avoir enlevée le 20 mars – a été arrêtée sous ses yeux. En détention provisoire à Budapest, elle pourrait être extradée vers la France d’ici au 25 mai.

Après une nuit dans un foyer pour enfants, Elise a retrouvé avec son père, Jean-Michel André, l’arrière-pays provençal, mardi 14 avril. Mais elle se rappelle aussi que sa demi-soeur Sacha – 8 ans –, fille de Vladislav Issaïev, le premier compagnon de sa mère avec lequel celle-ci vit à nouveau, attendait son retour à Moscou…

L’histoire des parents d’Elise est celle d’un couple bi-national battant de l’aile, devenue une affaire d’Etats. « Ils communiquaient dans un anglais trop abrupt pour exprimer de la subtilité ou de l’émotion », explique Me Catherine Déjean, conseil d’Irina Belenkaya, à Arles depuis fin 2007 pour expliquer la distance qui s’était installée. L’avocate note aussi un fossé générationnel et culturel entre sa cliente, âgée de 36 ans, et Jean-Michel André, 51 ans. « Il est dans la coparentalité, dans la médiation. C’est totalement étranger à Irina dont la tradition veut que la mère soit coûte que coûte avec son enfant, estime Me Déjean. M. André et Mme Belenkaya formulent les mêmes demandes mais Irina ne comprend pas que Jean-Michel puisse les faire, et on est face à deux justices qui ne se comprennent pas et qui statuent dans l’intérêt de leurs ressortissants respectifs et non dans celui de l’enfant. »

La Russie n’étant pas signataire de la convention de La Haye de 1980 relative aux déplacements illicites d’enfants entre pays, ni d’un accord bilatéral avec la France sur cette question, Irina Belenkaya et Jean-Michel André ont enlevé Elise tour à tour, convaincus de leur bon droit respectif. Deux fois elle, et une fois lui depuis fin 2007 où la justice française avait confié la garde de la fillette à son père…

M. André décrit une Irina élevée par sa grand-mère, puis sous la coupe du deuxième mari de sa mère, alcoolique et violent. « Ça l’a viciée dans son rapport aux autres, dit-il. Elle pense qu’un homme se manipule, elle l’a d’ailleurs fait aussi avec son premier compagnon. »

Partie à Moscou retrouver sa fille aînée et le père de celle-ci avec Elise, fin 2007, Irina jure avoir obtenu la garde de la petite par la justice russe. « Aucune procédure de divorce n’est en cours en Russie donc nous sommes toujours tous deux détenteurs de l’autorité parentale sur Elise là-bas », conteste M. André.

A la faveur de trois voyages discrets à l’été 2008 en bus, train ou via des aéroports mitoyens au territoire russe, il s’est livré à des repérages, établissant des contacts pour récupérer Elise et quitter prestement la Russie en taxi et train « sans voir d’uniformes », avant d’embarquer en Ukraine pour un vol vers la France. « J’ai dépensé 25 000 euros pour retrouver Elise, affirme-t-il. Finalement, le 22 septembre 2008, j’ai flanqué un bouquet de fleurs dans les bras de sa nounou interloquée, j’ai dit « j’emmène ma fille ». » Il a pris une année sabbatique afin de réadapter « Elisabieta-Lisa » – ses noms russes – à la vie française.

Irina a spectaculairement riposté le 20 mars, à Arles. Déguisée – et assistée de deux hommes habillés en agent de sécurité qui ont passé M. André à tabac -, elle a repris Elise lors d’un retour d’école.

Le déclenchement du plan Alerte-enlèvement a favorisé en France un emballement médiatique sur lequel M. André se défend de compter pour garder la main par rapport à son ancienne compagne. « J’ai parlé aux médias avec sincérité, dit-il. Pour retrouver Lisa, il fallait diffuser sa photo et c’était un moyen de régler plus globalement le problème des enfants franco-russes dans le même cas. »

Une solution diplomatique à la question de ces différends familiaux a semblé se dégager, jeudi 16 avril, quand il a reçu la visite de l’ambassadeur de Russie en France dans le cabinet de son avocat marseillais. Des experts français des ministères de la justice et des affaires étrangères travaillent aussi sur le sujet à Moscou depuis vendredi 17 avril. Mais M. André n’est pas dédouané pour autant.

Vendredi, le parquet russe a annoncé qu’il étudiait la possibilité d’émettre un mandat d’arrêt international contre lui pour avoir enlevé Elise et quitté illégalement le territoire en septembre 2008.

Patricia Jolly
Article paru dans l’édition du 19.04.09.