C’est l’enfant qui paiera le prix fort d’un rapt parental
Par Aurélia Mestre
Psychanalyste, formatrice des équipes éducatives au sein de L’Education Nationale, et formatrice des équipes spécialisée dans les troubles de la petite enfance dans le Val de Marne.
Spécialiste de la relation parents-enfants et des troubles de la fonction symbolique chez les enfants et les adolescents.
Comme l’écrit si bien Jacques Colleau, c’est effectivement l’enfant qui paiera le prix d’un rapt parental, et le prix fort.
Certaines personnes relayées par la législation de leur pays, pensent peut-être que ce n’est pas si important pour un enfant de ne pas être élevé par ses deux parents, n’y a-t-il pas en effet beaucoup de mères célibataires ou de parents abandonnés par leur conjoint ? Est-ce pour cela que leur enfant ne s’est pas bien développé ?
“Si l’enfant a des parents de cultures différentes, ne risque-t-il pas d’être perturbé d’aller d’un pays à l’autre pour ne plus savoir lequel choisir au final? “.
A ces réflexions, d’une certaine façon pertinentes, nous répondrons d’abord que tout enfant a eu besoin de cellules mâles et femelles pour se développer dans le ventre maternel, que ce soit par procréation naturelle ou par procréation médicalement assistée. Nous ne savons pas faire autrement.
Remarquons portant que les mères qui ont recours aux techniques médicales pour avoir un enfant, que ce soit, avec ou sans donneur, ont des idées particulières dans leur tête à propos de ce géniteur, même s’il est inconnu. Certaines femmes ont même cherché des pères « parfaits », afin de donner naissance à des enfants qu’elles pensaient pouvoir être supérieurement intelligents.
Dans ce cas, l’enfant est le produit de « fantasmes » maternels et devra faire avec. Grandir avec cette histoire-là, qui est une sorte de roman familial qui l’aidera à se construire et à grandir, puisqu’elle sera forcément positive. (ceci ne veut évidemment pas dire que ces enfants adultes seront exempts de troubles)
De même, lorsqu’une femme perdra son mari à la suite d’un accident, d’une maladie, ou d’une guerre, elle devra faire face à cet évènement tragique. L’enfant pourra dans des moments douloureux se raccrocher à ce père mort parce que sa mère lui en aura parlé. Le père ne sera donc pas absent de la mémoire familiale, même s’il n’en n’a plus la mémoire directe. De même, la famille paternelle de l’enfant pourra aider celui-ci à pallier cette absence .
Un enfant vit toujours difficilement la mort de son parent, cet évènement pouvant créer un vide jamais comblé, mais il peut se construire en intégrant cet élément dans son histoire pour bien la vivre.
Nous retiendrons qu’il faudra, pour qu’un enfant se construise correctement, que des personnes s’occupent de lui et satisfassent ses besoins, mais surtout qu’on lui parle des absents de façon positive, car c’est ce qui lui permettra de se repérer dans le temps, de se sentir enfant de parents qui se sont aimés et dont il est le prolongement.
Qu’en est–il par contre des enfants raptés par l’un des parents, de ceux issus de cultures différentes, quand le pays dans lequel ils se trouvent ne reconnaît pas le droit du second parent ?
Les parents qui ont kidnappé un enfant à la suite de la rupture brutale du lien conjugal, ne parlent pas à leurs enfants du parent absent puisqu’ils ont tout fait pour que ce parent n’existe plus, en s’appuyant même quelquefois sur un fond de droit de leur pays. En grandissant, ces enfants surprennent des conversations à leur sujet mais qui s’arrêtent dès qu’ils arrivent. De temps en temps ils peuvent aussi comprendre qu’un lointain « Papa » fait des démarches, mais pour quoi faire ?
Si un enfant ne reçoit pas de messages clairs, il en est réduit à des conjectures. S’il est trop petit pour se souvenir de son parent absent, il peut imaginer des choses terrifiantes au sujet de celui-ci, comme tout enfant abandonné. Il peut aussi créer un dialogue intérieur où cet homme (ou cette femme) doit être bien abject pour avoir fait « une chose pareille », surtout si personne ne lui en parle. Il peut aussi se dire : « si tel n’était pas le cas, ma famille qui m’aime m’aurait parlé de lui. » Dès lors, dans l’esprit de l’enfant, ce parent-là n’est donc pas quelqu’un de bien. « Peut – être même, se dit l’enfant, que ce parent absent va venir m’enlever et me soustraire à ceux que j’aime ! »
Devant les mensonges, les choses cachées, secrètes, l’enfant est bien obligé de s’inventer une réalité.
Soit il idéalise alors celle-ci, mais il sait au fond de lui qu’elle est fausse, soit il imagine des choses terribles et se met à craindre pour son existence. Cet enfant tourmenté par ses propres questions demeurées sans réponse, ne peut grandir en paix, constamment angoissé et inquiet et va probablement faire l’impasse sur son histoire puisque personne ne peut la lui révéler.
Il va dès lors grandir avec cette blessure qui fait effet de traumatisme. Au contraire de l’enfant orphelin traumatisé lui aussi par la mort d’un de ses parents qui a un entourage pour prendre en charge sa douleur, et peut lui peut parler de l’évènement, l’enfant victime d’un rapt parental ne peut au contraire élaborer son traumatisme. Incapable d’être bien là où il est, il voit bien pourtant sur sa peau et ses traits physiques qu’il est différent, qu’il est le produit de deux cultures, mais ses repères sont rendus flous et son identité de ce fait aura le plus grand mal à se constituer.
Si l’on me permet ce premier point de comparaison, son cas sera similaire à celui des enfants adoptés et à qui n’aurait pas été dite la vérité sur leur naissance. Dans notre pratique thérapeutique, on les voit souvent à l’adolescence en proie à des comportements délinquants ou entraînés dans des conduites addictives, sans cesse obsédés par les mêmes questions qui les tourmentent parce qu’elles sont sans réponse.
On sait aujourd’hui les terribles dégâts causés à ces enfants par les histoires non dites et aucun parent adoptant aujourd’hui n’aurait l’idée de cacher le fait de l’adoption.
Les adoptants sont généralement bienveillants, le parent rapteur au contraire, non seulement ne dit pas la vérité et fait vivre l’enfant dans le mensonge, mais le fait vivre de surcroît dans la mauvaise foi, au point que l’enfant victime ne distingue plus le vrai du faux, même dans des domaines qui n’ont rien à voir avec son histoire personnelle.
A côté du risque de développer un comportement délinquant, l’enfant croît au prix de torsions identitaires que les spécialistes reconnaissent comme des traits de perversion, ce dernier mot étant utilisé pour définir des comportements déviants, par exemple ceux qui infligent des souffrances à des animaux, accompagné d’un comportement particulier consistant à ne pas se confronter à la réalité.
Parallélisme avec les enfants adoptés privés de vérité, mais parallélisme aussi avec les enfants argentins dont les grands-mères de la Place de Mai à Buenos Aires nous ont parlé. On se souvient en effet de ce fait historique : dans les années 70, des enfants dont les parents, généralement des intellectuels de gauche, avaient été tués par les militaires arrivés au pouvoir, ont été adoptés souvent par ces mêmes militaires, jusqu’au jour où les grands mères ont revendiqué le droit de retrouver ces enfants et qu’ils leur soient restitués, afin que leur histoire ne soit pas falsifiée.
Les psychanalystes ont beaucoup travaillé sur ces cas de traumatismes et on ne peut que souhaiter vivement que soit inscrite dans le droit des enfants la nécessité absolue, en cas de divorce, que l’enfant ne soit plus privé d’un de ses parents, parce qu’il y va de son avenir, de sa construction, de sa vie même.
A une époque où l’on revendique tant de protéger les enfants, « ne pas être privé d’un de ses deux parents » devrait en d’autres termes être un droit reconnu, tout aussi fondamental que celui d’être nourri, éduqué, et de vivre en paix.
Que des pays ne l’aient pas fait est une triste réalité qui ne leur fait pas honneur !
Aurélia Mestre
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