(日本語訳は下記参照のこと:『片親引き離しがいかに危険であるか』
You can find below the Japanese translation of this article)
Film (映画)
L’ E N F E R
(地獄)
(Titre japonais : 美しき運命の傷痕)
(Utsukushiki unmei no kizuato : Les belles cicatrices du destin)
Film français (2005) du réalisateur bosniaque Danis Tanovic, avec Emmanuelle Béart, Carole Bouquet, Karin Viard, Marie Gillain, Jacques Perrin, Jacques Gamblin, Guillaume Canet, Miki Manojlovic et Jean Rochefort, …
A travers le destin parallèle de trois sœurs, de vies et d’âge éloignés et ne se voyant plus depuis des années, ayant néanmoins en commun une impossibilité à réussir leur vie affective, nous remontons peu à peu à l’origine de ces blessures du cœur qui les mènent à l’échec : le rejet et l’élimination de leur père, sur la base d’un tragique malentendu, par une mère toute puissante et vengeresse qui a tordu en elles les racines de l’amour et rompu le lien familial.
Le film fait référence au mythe grec de Médée la magicienne, fille du roi de Colchide et nièce de Circé (Cf. Médée, tragédie d’Euripide). Médée aide Jason à s’emparer de la Toison d’Or, puis devient son épouse. Mais Jason lui est infidèle et la jalousie de Médée est immense. Pour le punir, elle sait qu’elle ne pourra l’atteindre qu’à travers leurs enfants, pour lesquels Jason éprouve un très grand amour. Médée les tue de ses mains et Jason, fou de douleur et de désespoir, se suicide.
Par la présentation du suicide quasiment programmé du père et du meurtre psychique des trois filles, amputées par leur mère de la moitié d’elles-mêmes et vouées au malheur, le film montre l’intemporalité du mythe et son actualité : la Médée moderne (incarnée de façon impressionante par une Carole Bouquet hiératique et sans âge) n’est ni moins cruelle, ni moins exempte de regrets. Et les effets de ses pulsions destructrices, mues par une féminité et un instinct maternel pervertis, sont tout aussi dévastateurs et tragiques : jalousie, dureté et fantasme de toute puissance et d’appropriation exclusive des enfants sont les ingrédients de ce cocktail mortifère qui, ajoutés à la certitude d’être dans le juste et dans le bien (le bon droit et la bonne conscience), font alors d’une mère et d’une épouse (qui se pense comme mère et épouse modèles), un implacable bourreau. Murée dans sa haine jusqu’au bout, même après la révélation de la vérité, elle semble n’avoir rien appris et n’être plus capable de rien ressentir, pas même (surtout) la détresse de ses filles.
Sentiment d’étrangeté, pour le moins inquiétante et ô combien déroutante, que celui éprouvé par beaucoup de Roméo même fidèles, voyant leur aimante Juliette se transformer, comme fatalement, en peu d’années et généralement après la venue des enfants, en une glaciale et funeste Médée qui les prive désormais autant de son affection que de celle de leurs enfants, déniant injustement à ceux-ci, de façon discrétionnaire, tout accès à leur père. Et qui le pousse, lui, vers la sortie…
Mystère du devenir de ce que Freud dénomme le Continent noir : « (…) elle rassemble les traits d’un irrationnel où la maternité productive et positive se renverse en une puissance de mort. Or tel est bien le problème central de la réflexion féministe contemporaine. En effet, si dans la fonction maternelle, une femme peut ressentir, en tant qu’individu, le risque d’un clivage opéré sur son corps et d’une perte d’identité, si la maternité ne dit pas le tout de la féminité, cette dernière sera renvoyée, par un principe d’exclusion, à l’espace négatif de la sorcière : solitaire, mutique, asociale, improductive, repliée sur une féminité en absence, confrontée à l’image persécutrice de sa propre mère, une telle femme sera projetée dans un processus de déconstruction de type psychotique que l’écriture, ce « garde-fou » (Lara Jefferson, Folle entre les folles), ne suffira pas à détourner ou à objectiver. » (Encyclopædia Universalis, Féminisme).
Cette figure mythique de Médée n’est pas sans évoquer la Yamamba (ou Yama Uba, 山姥) japonaise, tueuse d’hommes, emmenant l’enfant Kintarô dans les montagnes pour l’élever seule.
Ces exemples-types de dévoiement de la féminité et d’aliénation parentale, aux conséquences tragiques pour les familles, fixés par le mythe dans des cultures aussi éloignées dans le temps et dans l’espace que la Grèce antique, le Japon et la Russie (Baba Yaga), pour ne citer que celles-là, tendraient à montrer l’universalité du type et la dangerosité du problème (1).
Mais le plus inquiétant est que, par un phénomène mis récemment en évidence par la psychogénéalogie, la tragédie a, hélas, toutes les « chances » de se répéter : les générations suivantes, par « fidélité familiale inconsciente », vont, malgré elles, reproduire les comportements d’exclusion et de meurtre symbolique ou réel (suicide provoqué) dont elles ont elles-mêmes souffert, scellant à leur insu leur propre destin et celui de leurs enfants.
Le film de Danis Tanovic illustre bien ce phénomène, fonctionnant comme un pattern reproductible, notamment par l’évocation du destin la sœur aînée, singulièrement nommée Sophie (la Sagesse ?), incarnée par Emmanuelle Béart : dépressive et égarée par la jalousie, elle se vengera de son mari infidèle en l’excluant de la famille, reproduisant comme mécaniquement sur ses propres enfants et sur son mari l’aliénation parentale dont elle a été elle-même victime étant enfant (aliénation dont on peut sans peine imaginer les conséquences sur la génération suivante, et ainsi de suite…).
Peut-on parler de destin ? C’est peut-être une des faiblesses du film que de s’appuyer sur cette référence individuelle antique, et de l’opposer aux coïncidences de la modernité. Car s’il y a « destin », il est, ici, nécessairement collectif, c’est-à-dire qu’il est le produit d’un inconscient familial. C’est alors de répétition inconsciente d’une pathologie familiale qu’il faudrait plutôt parler, et ici de Syndrome d’Aliénation Parentale (S.A.P, ou P.A.S en anglais, en japonais 片親引き離し症候群, kataoya hikihanashi shôkôgun).
Dans un tel contexte familial, la mise en évidence du syndrome est la première étape à franchir pour éviter de s’égarer sur de fausses pistes, et un long travail, aux résultats incertains, restera à faire ensuite avec les enfants pour en déjouer les maléfices et défaire les nœuds, en tentant de (les) sortir de l’enfer de la répétition.
Mais encore faudra-t-il que les conditions, ou les évènements, le permettent…
Achille
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(1) Voir, à ce propos, une approche récente du substrat psychologique de ces comportements pervers dans les ouvrages suivants :
- NAOURI Aldo(アルド・ナウリ), Les Pères et les Mères, Odile Jacob, poches, Paris, 2005
- 三砂ちずる「オニババ化する女達」、光文社新書,2004年
MISUNA Chizuru, Onibaba ka suru onnatachi, (Les femmes qui se changent en
sorcières), 2004, Kôbunsha shinsho
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(日本語訳)
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