La rupture du couple, facteur notoire d’exclusion

Nous reproduisons ici un article du journal Le Monde qui traite de l’origine de l’exclusion.

(article original ici)

LE MONDE | 29.01.08 | 10h40 • Mis à jour le 29.01.08 | 10h40

Pourquoi un individu bascule-t-il dans la rue ? Des chercheurs mettent en avant la faiblesse des ressources, les conditions macrosociales (critères d’accès en HLM ou en foyer, coût des loyers dans le parc privé, etc.). D’autres citent les ruptures, vécues dans l’enfance et à l’âge adulte, à l’instar de « Personnes en détresse », étude réalisée en 2002 pour l’Observatoire sociologique du changement et la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (Fnars).

Ses auteurs, Serge Paugam et Mireille Clémençon, montrent que les exclus ont une probabilité plus forte d’avoir grandi dans une famille confrontée à de graves problèmes d’argent, d’avoir vu ses parents se disputer ou divorcer. Ils évoquent des difficultés plus personnelles dans l’enfance (problèmes de santé ou de scolarité, mauvais traitements, grand manque d’affection).

L’écart le plus important par rapport à la population concerne le placement dans une famille d’accueil ou en institution : près de 20% des personnes de leur échantillon ont été placées (1,9% en général). 30 % victimes ont subi des mauvais traitements et plus de 10 % des abus sexuels.

« Les personnes qui s’adressent aux services d’accueil, d’hébergement et d’insertion sont issues d’un milieu social assez modeste (…), mais ont surtout été proportionnellement plus souvent marquées par des difficultés et des ruptures dès l’enfance », concluent-ils.

« ÉPONGER L’INONDATION SANS SONGER À FERMER LE ROBINET »

Ces cassures fragilisent l’équilibre psychologique des individus et compromettent leur intégration sociale. Certaines difficultés apparaissent plus ou moins surmontables. Celles qui relèvent de l’environnement familial perturbé (mauvais traitements envers la mère ou la personne interrogée, abus sexuels) marqueraient plus durablement l’existence.

Adultes, les individus de l’échantillon étudié témoignent de difficultés variées : un tiers ont vécu l’endettement, un quart ont été condamnés par la justice, un cinquième sont allés en prison et un sur six a subi la mort d’un proche. 34 % disent avoir été victimes de violences et 21 % ont été soignés en hôpital psychiatrique. 27 % ont des problèmes d’alcoolisme et 23 % ont fait une tentative de suicide.

Au-delà de cette photographie saisissante, les auteurs appréhendent chronologiquement le processus de précarisation : rupture du couple, ennuis de santé et problèmes d’alcoolisme devancent souvent la perte de l’emploi et du logement. Les problèmes avec la justice et la prison viennent ensuite. Mais, parmi ces difficultés, celle qui les a fait basculer est, souvent, la rupture du couple.

Tous ces facteurs d’exclusion, liés à l’histoire personnelle, sont assez faiblement pris en compte par les politiques publiques en faveur des sans-abri. Dans son rapport, le jury d’audition de la conférence de consensus réunie par la Fnars en novembre 2007 soulignait les « faiblesses majeures » d’une politique qui « ne se préoccupe nullement de la manière dont se trouve alimenté le flux des nouveaux entrants dans la rue », se souciant seulement de « curatif sans se mêler de préventif ou, pour faire image, se contentant d’éponger l’inondation sans songer à fermer le robinet d’arrivée d’eau ».

Emmanuel Chevallereau