Une nuit au Jimjilbang (Sauna coréen)
Publié : 07 avr. 2008 13:36
Bonjour a tous,
L'endroit parfait pour "publier" ce petit texte !
Une nuit au "Tchim tchil Bang"
Séoul, un vendredi soir.
C'est l'estomac bien rempli d'un « galbi » de porc généreusement arrosé que je me présente à l'entrée du « Tchim Tchil Bang » du quartier. J'ai un peu titubé pour y arriver, mais rien de grave : nous avons laissé nos deux voisins tables au restaurant, deux jeunes qui en terminaient avec leur 4ème bouteille de soju, au milieu de leurs discussions animées de poivrots (« Toi, j'te jure, t'es mon seul vrai pote» etc.).
Je connais désormais le rituel : on paye, on reçoit son équipement, on va mettre ses chaussures dans les casiers idoines puis direction les vestiaires et bains hommes ou femmes. De la, un escalier mènera aux parties communes. Seule Jin reçoit une serviette et je me prépare à provoquer un esclandre. Euh, en fait, non, renseignements pris : la direction tente de réguler la consommation de serviettes des femmes tandis que pour les hommes, plus raisonnables, les serviettes sont en accès illimité près des douches.
Arrivé dans les parties hommes, et bien qu'il me faille découvrir encore et toujours de nouveaux systèmes de casiers, je parviens à m'en sortir comme un vrai spécialiste. Une grande douche pour commencer. A côté, un enfant de 8 ou 10 ans frotte le dos de son père avec une sorte de brosse dans une parfaite esthétique manga. Dans un coin, deux malheureux se font maltraiter par des masseurs sans scrupules, qui ont l'air de pétrir de la pâte pour faire des pains de campagne.
Il est maintenant temps de rejoindre les parties communes. J'enfile mon costume de "Tchim Tchil Man". Un short et un T-shirt fournis à l'entrée, hybride entre un survêtement et un pyjama. Costume bleu pour les hommes, rose pour les filles. Aussi simple que cela. L'expérience aidant, j'achète avant de descendre deux canettes de bière Cass et une petite corbeille d'œufs durs. Il s'agit d'œufs cuits directement dans les saunas. Les coquilles sont colorées comme des œufs de pâques. Plus curieux, le contenu lui-même est coloré.
Un « Tchim Tchil Bang », c'est à la fois très simple et très compliqué : femmes et hommes sont séparés dans certaines parties. On y trouve pêle-mêle des douches, des bains, des spa, des jacuzzis, des saunas, que sais-je encore, réunis dans une grande salle. On y trouve aussi une petite épicerie, des télés et des salles de repos.
Jusque-là, rien de bien extraordinaire. Le grand plongeon dans la société coréenne se fait plutôt dans les parties communes. On y trouve des « Tchim Tchil Bang » proprement dits, c'est-à-dire des saunas plutôt secs. La sueur dans la vie quotidienne est une ennemie à combattre. Ici, elle procure une grande sensation de purification. Des saunas, on en trouve de toute sortes (pierres, bois, graviers), de toutes les formes et de toutes les températures, du Sahara à la banquise. Le reste est composé d'un espace ouvert, sorte de salle de repos où l’on s'installe comme on veut et comme on peut sur des petits matelas. Ensuite, on peut trouver tout et n'importe quoi : Cafeterias, DVD bang, Norae bang (et sans doute toute une galerie de noms en « bang »). Une des salles porte un nom évocateur : « Sleeping men ».
Jin est en retard. Me voilà, seul étranger, debout au milieu de la salle avec des œufs durs dans la main. Petit moment de solitude. J'avise un espace libre : raté, une bande de gamins se précipite déjà pour occuper le terrain. Pas de panique, je trouve un coin sympa un peu surélevé. L'occasion de découvrir la salle. Ici, des sortes d'alcôves de quelques dizaines de centimètres de plafond et de largeur ont été aménagées sous les passages. Juste de quoi y glisser son matelas. Certaines alcôves, plus grands, permettent de regarder un DVD.
De grands écrans de télé sont installés dans certains angles. Forte concentration de population bleue pour le match de foot et de population rose pour le feuilleton télé (Tiens, serait-ce le fameux feuilleton avec cet acteur trooooooop beauuuuu, fantasme de mes collègues coréennes ?).
Jin est arrivée. Nous allons visiter les saunas. Le 1er contient des compartiments remplis de graviers. J'ai l'impression de visiter un four. Une fois allongé, je pose mes pieds sur des poutres en bois car le sol me brûle la plante des pieds. Bon, essayons un autre. Le 2ème est désert. On est assis sur une espèce de moquette. Très confortable, très supportable, et puis la salle n'est rien que pour nous. Dans le 3ème aussi, la salle n’est rien que nous sauf que cette fois, il y a de la glace sur les murs. Un écran de télé y donne les infos, mais ça ne donne pas pour autant forcément envie de s’y installer durablement. Finalement, nous trouvons notre bonheur dans un 4ème sauna. On rampe pour y entrer et on se retrouve dans une espèce d'igloo en pierres. Assez sombre, très dépaysant. L'occasion de piquer un petit somme l'air de rien.
Enfin, il reste à visiter la salle à oxygène. Qu'y-a-t'il de notable, dans cette salle à oxygène ? Ben, de l'oxygène, justement. Pas très spectaculaire, donc, mais calme et propice à un petit somme supplémentaire.
Sortis de là, il est grand temps de songer à...piquer un roupillon, activité essentielle de tous. Les "alcôves" individuelles sont toutes occupées. Toutefois, nous découvrons derrière une petite entrée d’un mètre de hauteur une longue salle au plafond très bas, quasiment inoccupée. Nous rampons à l'intérieur en poussant nos matelas devant nous et nous installons dans un coin. Jin s'endort rapidement. Moi pas. J'entends la télé qui braille, les enfants qui braillent. Comble de malheur, ma bière est devenue chaude. Et puis, peu à peu, on fait abstraction de tout... réveil une heure plus tard. Notre salle est désormais remplie et un dormeur ronfle sans vergogne. Nous sortons finalement avec l'impression de faire un bruit de déménagement dans le silence qui s'est maintenant emparé du Tchim Tchil Bang. Les télés se sont tues, les enfants dorment.
On dirait un camp de réfugiés, genre gymnase recueillant pour la nuit des naufragés de la route. Il y a du monde partout. Des adultes dorment à même le sol, sans matelas, dans le couloir qui mène aux bains féminins. D'autres sont entrés dans le petit parc à jeux pour enfants et roupillent près du toboggan. Plusieurs verres d'eau me remettent d'aplomb. Jin m'impose un passage sur une machine infernale, supposée fournir un massage réparateur. On glisse un billet dans la machine et le fauteuil fait le reste. Je réprime courageusement tout hurlement de douleur. Ensuite, petit tour dans les saunas désertés, à part la salle à oxygène qui s’est transformée en dortoir.
Retour dans la salle commune. Les moindres recoins sont occupés, nous trouvons refuge près d'un pilier. Et là ? Ben, nouveau somme. La salle est toujours éclairée. J’entends un couple qui s’engueule dans une alcôve proche de nous. Tout au moins, je le suppose. Le seul mot que je reconnais dans la conversation est "Tchim Tchil Bang". Je tente de lire quelques pages de mon livre mais abandonne après 4 relectures de la même phrase.
4 heures du matin passés. Jin et moi décidons de rentrer et chacun prend la route de son vestiaire pour un moment de libre. Les bains pour hommes sont vides, sauf un père et ses deux enfants, lesquels continuent de s'agiter à cette heure avancée. Je m'ébouillante dans le spa à 36° et j'ai froid dans celui à 39 (hé, vérifiez vos thermomètres, les gars). Un écran de télé diffuse du foot. Championnat d'Italie. Je crois reconnaître Materazzi.
En prenant une dernière douche, je découvre un type qui dort à poil sur les dalles tièdes, bercé sans doute par la mélodie régulière des turbines des jacuzzis. Je me demande un instant s'il ne serait pas mieux chez lui, dans son lit, de même que le dormeur du couloir, les familles et leurs trois enfants, ou la mémé qui était endormie sur l'inconfortable fauteuil à massage électrique. Et puis, je finis par m'avouer que moi aussi, cette nuit-là, je n'aurais pas voulu être ailleurs.
L'endroit parfait pour "publier" ce petit texte !
Une nuit au "Tchim tchil Bang"
Séoul, un vendredi soir.
C'est l'estomac bien rempli d'un « galbi » de porc généreusement arrosé que je me présente à l'entrée du « Tchim Tchil Bang » du quartier. J'ai un peu titubé pour y arriver, mais rien de grave : nous avons laissé nos deux voisins tables au restaurant, deux jeunes qui en terminaient avec leur 4ème bouteille de soju, au milieu de leurs discussions animées de poivrots (« Toi, j'te jure, t'es mon seul vrai pote» etc.).
Je connais désormais le rituel : on paye, on reçoit son équipement, on va mettre ses chaussures dans les casiers idoines puis direction les vestiaires et bains hommes ou femmes. De la, un escalier mènera aux parties communes. Seule Jin reçoit une serviette et je me prépare à provoquer un esclandre. Euh, en fait, non, renseignements pris : la direction tente de réguler la consommation de serviettes des femmes tandis que pour les hommes, plus raisonnables, les serviettes sont en accès illimité près des douches.
Arrivé dans les parties hommes, et bien qu'il me faille découvrir encore et toujours de nouveaux systèmes de casiers, je parviens à m'en sortir comme un vrai spécialiste. Une grande douche pour commencer. A côté, un enfant de 8 ou 10 ans frotte le dos de son père avec une sorte de brosse dans une parfaite esthétique manga. Dans un coin, deux malheureux se font maltraiter par des masseurs sans scrupules, qui ont l'air de pétrir de la pâte pour faire des pains de campagne.
Il est maintenant temps de rejoindre les parties communes. J'enfile mon costume de "Tchim Tchil Man". Un short et un T-shirt fournis à l'entrée, hybride entre un survêtement et un pyjama. Costume bleu pour les hommes, rose pour les filles. Aussi simple que cela. L'expérience aidant, j'achète avant de descendre deux canettes de bière Cass et une petite corbeille d'œufs durs. Il s'agit d'œufs cuits directement dans les saunas. Les coquilles sont colorées comme des œufs de pâques. Plus curieux, le contenu lui-même est coloré.
Un « Tchim Tchil Bang », c'est à la fois très simple et très compliqué : femmes et hommes sont séparés dans certaines parties. On y trouve pêle-mêle des douches, des bains, des spa, des jacuzzis, des saunas, que sais-je encore, réunis dans une grande salle. On y trouve aussi une petite épicerie, des télés et des salles de repos.
Jusque-là, rien de bien extraordinaire. Le grand plongeon dans la société coréenne se fait plutôt dans les parties communes. On y trouve des « Tchim Tchil Bang » proprement dits, c'est-à-dire des saunas plutôt secs. La sueur dans la vie quotidienne est une ennemie à combattre. Ici, elle procure une grande sensation de purification. Des saunas, on en trouve de toute sortes (pierres, bois, graviers), de toutes les formes et de toutes les températures, du Sahara à la banquise. Le reste est composé d'un espace ouvert, sorte de salle de repos où l’on s'installe comme on veut et comme on peut sur des petits matelas. Ensuite, on peut trouver tout et n'importe quoi : Cafeterias, DVD bang, Norae bang (et sans doute toute une galerie de noms en « bang »). Une des salles porte un nom évocateur : « Sleeping men ».
Jin est en retard. Me voilà, seul étranger, debout au milieu de la salle avec des œufs durs dans la main. Petit moment de solitude. J'avise un espace libre : raté, une bande de gamins se précipite déjà pour occuper le terrain. Pas de panique, je trouve un coin sympa un peu surélevé. L'occasion de découvrir la salle. Ici, des sortes d'alcôves de quelques dizaines de centimètres de plafond et de largeur ont été aménagées sous les passages. Juste de quoi y glisser son matelas. Certaines alcôves, plus grands, permettent de regarder un DVD.
De grands écrans de télé sont installés dans certains angles. Forte concentration de population bleue pour le match de foot et de population rose pour le feuilleton télé (Tiens, serait-ce le fameux feuilleton avec cet acteur trooooooop beauuuuu, fantasme de mes collègues coréennes ?).
Jin est arrivée. Nous allons visiter les saunas. Le 1er contient des compartiments remplis de graviers. J'ai l'impression de visiter un four. Une fois allongé, je pose mes pieds sur des poutres en bois car le sol me brûle la plante des pieds. Bon, essayons un autre. Le 2ème est désert. On est assis sur une espèce de moquette. Très confortable, très supportable, et puis la salle n'est rien que pour nous. Dans le 3ème aussi, la salle n’est rien que nous sauf que cette fois, il y a de la glace sur les murs. Un écran de télé y donne les infos, mais ça ne donne pas pour autant forcément envie de s’y installer durablement. Finalement, nous trouvons notre bonheur dans un 4ème sauna. On rampe pour y entrer et on se retrouve dans une espèce d'igloo en pierres. Assez sombre, très dépaysant. L'occasion de piquer un petit somme l'air de rien.
Enfin, il reste à visiter la salle à oxygène. Qu'y-a-t'il de notable, dans cette salle à oxygène ? Ben, de l'oxygène, justement. Pas très spectaculaire, donc, mais calme et propice à un petit somme supplémentaire.
Sortis de là, il est grand temps de songer à...piquer un roupillon, activité essentielle de tous. Les "alcôves" individuelles sont toutes occupées. Toutefois, nous découvrons derrière une petite entrée d’un mètre de hauteur une longue salle au plafond très bas, quasiment inoccupée. Nous rampons à l'intérieur en poussant nos matelas devant nous et nous installons dans un coin. Jin s'endort rapidement. Moi pas. J'entends la télé qui braille, les enfants qui braillent. Comble de malheur, ma bière est devenue chaude. Et puis, peu à peu, on fait abstraction de tout... réveil une heure plus tard. Notre salle est désormais remplie et un dormeur ronfle sans vergogne. Nous sortons finalement avec l'impression de faire un bruit de déménagement dans le silence qui s'est maintenant emparé du Tchim Tchil Bang. Les télés se sont tues, les enfants dorment.
On dirait un camp de réfugiés, genre gymnase recueillant pour la nuit des naufragés de la route. Il y a du monde partout. Des adultes dorment à même le sol, sans matelas, dans le couloir qui mène aux bains féminins. D'autres sont entrés dans le petit parc à jeux pour enfants et roupillent près du toboggan. Plusieurs verres d'eau me remettent d'aplomb. Jin m'impose un passage sur une machine infernale, supposée fournir un massage réparateur. On glisse un billet dans la machine et le fauteuil fait le reste. Je réprime courageusement tout hurlement de douleur. Ensuite, petit tour dans les saunas désertés, à part la salle à oxygène qui s’est transformée en dortoir.
Retour dans la salle commune. Les moindres recoins sont occupés, nous trouvons refuge près d'un pilier. Et là ? Ben, nouveau somme. La salle est toujours éclairée. J’entends un couple qui s’engueule dans une alcôve proche de nous. Tout au moins, je le suppose. Le seul mot que je reconnais dans la conversation est "Tchim Tchil Bang". Je tente de lire quelques pages de mon livre mais abandonne après 4 relectures de la même phrase.
4 heures du matin passés. Jin et moi décidons de rentrer et chacun prend la route de son vestiaire pour un moment de libre. Les bains pour hommes sont vides, sauf un père et ses deux enfants, lesquels continuent de s'agiter à cette heure avancée. Je m'ébouillante dans le spa à 36° et j'ai froid dans celui à 39 (hé, vérifiez vos thermomètres, les gars). Un écran de télé diffuse du foot. Championnat d'Italie. Je crois reconnaître Materazzi.
En prenant une dernière douche, je découvre un type qui dort à poil sur les dalles tièdes, bercé sans doute par la mélodie régulière des turbines des jacuzzis. Je me demande un instant s'il ne serait pas mieux chez lui, dans son lit, de même que le dormeur du couloir, les familles et leurs trois enfants, ou la mémé qui était endormie sur l'inconfortable fauteuil à massage électrique. Et puis, je finis par m'avouer que moi aussi, cette nuit-là, je n'aurais pas voulu être ailleurs.